
Le poste de la Reine dévoilé :
quotidien et artéfacts de la Basse-Ville de Québec (XIXe siècle – début XXe siècle)
Rachel Archambault, Julie Toupin et Isabelle Duval, Hydro-Québec
Un site au coeur du faubourg Saint-Roch
Les fouilles archéologiques menées sur le site du poste de la Reine, à Québec, ont révélé plusieurs décennies d'occupation résidentielle, commerciale et industrielle. Situé entre les rues du Prince-Édouard, Monseigneur-Gauvreau, de la Reine et Sagard, ce quadrilatère se trouve au cœur du quartier Saint-Roch, dans la Basse-Ville de Québec.
Les artéfacts présentés dans cet ensemble thématique proviennent des campagnes de fouilles de 2018 et de 2023, réalisées à la suite du démantèlement d'un poste de transformation électrique appartenant à Hydro-Québec, fermé en 2016. Une centaine de structures y ont été mises au jour, dont 10 fosses de latrines, livrant une impressionnante collection de plus de 12 000 artéfacts.
Ces découvertes illustrent les activités quotidiennes du secteur et témoignent de la diversité des fonctions domestiques, familiales et culturelles qui animaient la Basse-Ville entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle.
La vie quotidienne en Basse-Ville
Longtemps décrite comme un quartier ouvrier défavorisé, la Basse-Ville révèle ici un visage plus nuancé. De nombreux objets – perles, brosses à dents, fragments de miroir, vaisselle d'enfant, ensembles de céramique et de verrerie, rayons de parapluie, ou encore pièces en métal plaqué or ou argent – laissent entrevoir un certain confort matériel. Ces indices suggèrent que plusieurs ménages appartenaient peut-être à une classe moyenne, voire à une classe moyenne supérieure.
Les fouilles ont également livré plusieurs graines, noix et ossements de boucherie témoignant de pratiques alimentaires variées et même parfois exotiques, comme la découverte d'une noix de Grenoble et d'un fragment de noix de coco. Des ossements de chiens et de chats rappellent aussi la présence d'animaux de compagnie, familiers du quotidien urbain.
Traces de conflits anciens
Parmi les découvertes marquantes figurent des projectiles d'artillerie – balles de mitraille, boulets, balles de grappe de raisin – témoignant d'une présence militaire possiblement antérieure à l'occupation domestique du site. Ces artéfacts pourraient être liés aux batailles ayant marqué la Basse-Ville lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763) ou du siège de Québec (1775-1776). Probablement mis au jour au XIXe siècle lors de travaux d'aménagement, ils furent ensuite jetés dans les latrines, avant d'être redécouverts en 2018 et en 2023.
Croissance urbaine et épreuves du feu
Habité depuis le XVIIe siècle, le faubourg Saint-Roch connait un essor rapide au XIXe siècle avec le développement du secteur naval. Les ouvriers s'y installent près des chantiers et des ateliers, formant un tissu urbain dense où le bois domine comme matériau de construction. Cette proximité rend le quartier particulièrement vulnérable aux incendies.
Celui du 28 mai 1845 marque un tournant : né à la tannerie Richardson, il ravage presque tout le faubourg, détruisant plus de 1 600 bâtiments et laissant 12 000 personnes sinistrées. D'autres incendies, en 1866 et en 1870, frappent encore le secteur. Ces catastrophes façonnent durablement le paysage urbain et la mémoire du quartier. Les habitations situées dans l'espace qui abritera des années plus tard le poste de la Reine ne seront pas épargnées; des traces des incendies ont été observées au cours des interventions archéologiques sur ce site. Cependant, très peu d'objets dans la collection semblent porter des traces d'altération par le feu.
Un quartier en plein essor commercial
Au XIXe siècle, le quadrilatère du poste de la Reine accueille à la fois des habitations et des ateliers, comme un fabricant de fûts et de barils ainsi qu'une savonnerie-chandellerie. Si la plupart des découvertes témoignent de la vie domestique du quartier, certains objets – comme des poulies, une pièce de lanterne ou encore des scories – pourraient plutôt évoquer des activités artisanales ou commerciales menées à proximité, dans ces ateliers du XIXe siècle.
Et la lumière fut : l'ère de l'électricité
En 1894, l'achat des lots par la Montmorency Electric Power Company témoigne d'une nouvelle ère : celle de la production d'électricité. Le poste de la Reine changera deux fois de mains au XXe siècle – Quebec Railway, Light and Power Company, puis Quebec Power Company, filiale de la Shawinigan Water and Power Company.
Le XIXe siècle est une période d'effervescence technologique. L'essor de l'électricité et de l'hydroélectricité bouleverse les villes : les rues s'illuminent, les usines se modernisent, et le quotidien change de visage. En 1876, la lampe à arc annonce cette révolution lumineuse, bientôt suivie, en 1879, de l'ampoule à incandescence inventée par Thomas Edison. À la fin du siècle, les démonstrations d'éclairage électrique attirent les foules à Montréal et à Québec, tandis que les premières centrales thermiques voient le jour dans les années 1880. Le 1er août 1885, la terrasse Durham, renommée Dufferin quelques années plus tard, s'illumine : Québec entre officiellement dans l'ère de l'électricité.
À partir des années 1920, la critique des monopoles de l'électricité se fait entendre. À Québec, où les tarifs figurent parmi les plus élevés au pays, des mouvements citoyens réclament la gestion publique de ce service essentiel. En 1944, le gouvernement provincial d'Adélard Godbout adopte une loi qui permet la fondation de la Commission hydroélectrique de Québec (Hydro-Québec). Celle-ci nationalise alors la Montreal Light, Heat and Power Consolidated. Son mandat est de fournir de l'énergie aux municipalités, aux entreprises et à la population, au tarif le plus bas possible.
En 1963, lors de la deuxième vague de nationalisation des compagnies d'électricité, Hydro-Québec acquiert le poste de la Reine. Mis en service en 1894, il est le premier poste de transformation hydroélectrique construit dans la région de Québec. Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, il demeure le plus important du réseau de la Quebec Power Company, assurant la distribution de la charge électrique vers les seize districts de la Ville de Québec.
En 1928, la Quebec Power Company installe deux circuits reliant le poste de Québec-1 nouvellement construit au poste de la Reine afin de répondre à une augmentation de la demande. En 1961 et en 1966, deux lignes souterraines sont ajoutées afin d'améliorer la fiabilité et la puissance du réseau. On choisit la voie souterraine parce qu'il faut traverser un quartier dense, Saint-Roch, qui laisse peu de place à une ligne aérienne.
Après plus d'un siècle en service, le poste de la Reine cesse définitivement ses activités en 2016, alors qu'il est le plus ancien poste de transformation hydroélectrique du pays. Véritable acteur clé de l'électrification de la ville de Québec, le poste de la Reine demeure un témoin privilégié de l'évolution technologique et historique d'Hydro-Québec.
De l'ombre à la lumière : un témoin de l'histoire urbaine
Les fouilles archéologiques ont révélé de nombreux vestiges liés à cette vocation industrielle : électrodes en graphite, isolateurs en verre et en porcelaine, manchon en bois, canalisations, autant de témoins matériels de l'électrification de la Basse-Ville. La présence de brûleurs et de lampes à huile, aux côtés d'objets électriques, illustre le basculement au XIXe siècle vers une modernité lumineuse.
Ces découvertes racontent plus qu'une simple succession d'occupations : elles tracent le portrait d'un quartier en constante transformation, où la vie domestique, l'industrie et le progrès technique se rencontrent.
En savoir plus
- Côté-Cyr, Catherine. 2015. Étude patrimoniale du poste de la Reine et des lignes aériennes (circuit no 752) et souterraines (circuits nos 749-750). Préparé pour Hydro-Québec TransÉnergie.
- Castonguay, Dandenault et associés. 2014. Démantèlement du poste de la Reine, rue Prince-Édouard à Québec. Étude du potentiel archéologique et inventaire exploratoire. Préparé pour Hydro-Québec Équipement et services partagés. 97 p. et ann.
- Castonguay, Dandenault et associés. 2024. Démantèlement et réhabilitation du poste de la Reine à Québec (CeEt-579) – Surveillance et fouilles archéologiques – 2018. Préparé pour Hydro-Québec Équipement et services partagés. 231 p. et ann.
- Truelle et Cie Inc. 2024. Interventions archéologiques (2023-2024). Projet de construction Le Zénith (CeEt-579). Ville de Québec.
Source : Archives d'Hydro-Québec - F19_701209_9-08
Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, pces P600,S4,SS1,D65 et pce G/1144/Q4G475/H794/1879CAR.

