Pipes de pierre à la période historique
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Les pipes de pierre
à la période historique

Marie-Hélène Daviau

Au XVIIe siècle, les nouveaux arrivants qui débarquent en Nouvelle-France connaissent déjà bien le tabac et la pipe à fumer : l'usage en avait été adopté en Europe sitôt l'Amérique découverte. Cela dit, les traditions autochtones auxquelles ils sont confrontés sont nouvelles pour eux. Chez les Autochtones, le fait de fumer la pipe revêt une grande importance aux plans culturel et spirituel, comme en témoignent de nombreux rituels. Tout naturellement, donc, les échanges commerciaux et les alliances qui surviennent entre Eurocanadiens et Autochtones, alors que chacun s’approprie pratiques et objets et les réinterprète selon sa propre culture, sont marqués par ce rite cérémoniel.

La pipe de pierre, composée d’un fourneau en pierre et d’un tuyau amovible en bois, prend ainsi place dans une continuité nord-américaine de consommation du tabac. On la fume afin de souligner un accord à la foire des fourrures, par exemple, ou encore par choix personnel, pour exprimer une identité autochtone ou métissée. Les voyageurs de l’époque peuvent aussi l’acquérir en guise de souvenir, ou comme une curiosité, représentant pour eux un contact avec le monde autochtone qui peut être idéalisé. Les écrits historiques montrent même que les colons français fument la pipe à tuyau amovible au quotidien, peut-être aussi pour son côté pratique. Le botaniste suédois Perh Kalm, lors de son passage en Nouvelle-France en 1749, note que :

Les pipes que l’on utilise ici sont fabriquées avec cette pierre, noircie artificiellement, […] une ficelle est fixée à la base de la pipe et reliée au tuyau par son autre bout, pour éviter que la tête ne tombe à terre. […] On voit rarement quelqu’un utiliser ces pipes blanches en argile qu’on fabrique en France…

L’archéologie permet de découvrir cet objet de façon concrète, car, même si le tuyau de pipe n’a pu se conserver dans le sol, le fourneau de pierre a souvent traversé le temps. Aussi, à partir d’une variété d’objets et de contextes archéologiques québécois, une certaine classification des pipes a pu être établie :

  • Les pipes en bloc et les pipes vasiformes semblent s’inscrire dans la continuité des traditions amérindiennes et se retrouvent encore dans des contextes archéologiques du XVIIe siècle. La première consiste en l’aménagement d’un fourneau et d’un trou de fumée dans un galet ou une pierre tendre, sans le façonnage d’un col. La seconde rappelle la forme des vases amérindiens avec un fourneau court, aux parois parfois décorées, relié à une base par un col légèrement cintré.
  • Les pipes de type « calumet » se font encore rares dans nos collections. Ce terme fait généralement référence à la grande pipe des Plaines de l’Ouest, mais nous considérons ici les pipes avec une forme générale en « L » ou en « T » sous cette appellation. Bien qu’elles puissent être de styles variés, les pipes de ce type semblent généralement de petit format et n’ont pas nécessairement un statut d’objet rituel sacré.
  • Le type de pipe en pierre à tuyau amovible le plus répandu dans nos collections archéologiques demeure encore le modèle connu dans la littérature archéologique nord-américaine comme le « type micmac ». Ce modèle, qui peut comporter de nombreuses variantes, se caractérise par un fourneau centré par rapport à sa base, dont il est séparé par un col distinct. La partie inférieure de la base est amincie et forme souvent une crête percée d’un trou servant à y insérer une lanière pour rattacher la tête de la pipe au tuyau amovible. Nous savons maintenant que la pipe dite de « type micmac » n’est pas strictement associée aux Mi’kmaq et connait en fait une large distribution qui semble reliée à l’expansion du réseau français de la traite des fourrures. Ce modèle précis apparait au troisième quart du XVIIe siècle et connait un pic de popularité dans la période 1740-1770, suivant laquelle la présence de la pipe s’atténue dans les contextes archéologiques québécois. Sa description correspond au terme « calumet » retrouvé dans les sources historiques de l’époque, alors utilisé pour décrire tout type de pipe à tuyau amovible. La fabrication et l’utilisation de ce modèle parfois qualifié de « calumet canadien » s’inscrit dans la dynamique de l’appropriation, de la réinterprétation et de l’hybridation culturelle.

Nos collections présentent aussi des modèles incomplets, parfois uniques, voire hybrides, comme par exemple une pipe coudée avec crête dont l’origine et la distribution ne sont pas encore précisées. Autant de types d’artéfacts dont l’analyse lève le voile sur un artisanat qui a évolué dans le temps et l’espace.

ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLE
Fumeur de pipe
Ein Canadischer Bauer, 1778, par Friedrich von Germann, 1873.
© The New York Public Library
Représentation schématique d'une pipe de type micmac
Représentation schématique d'une pipe de type micmac.
© Marie-Hélène Daviau, 2016.