Le Parlement de la province du Canada
INTERROGEZ > PARLEMENT DE LA PROVINCE DU CANADA

Le Parlement de la province du Canada (1844-1849) : le quotidien des parlementaires à Montréal

Par Delphine Léouffre

En 1838, Lord Durham, récemment nommé gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique et commissaire enquêteur, est dépêché de Londres à la suite des insurrections des patriotes de 1837-1838. Il propose l’union du Haut-Canada et du Bas-Canada afin d’assurer la domination coloniale anglaise et de réduire le pouvoir de la population canadienne-française, jusque-là majoritaire. L’acte d’union est adopté en juillet 1840 et la première capitale du Canada-Uni est établie à Kingston. Ce choix est rapidement contesté et en 1843 le gouvernement décide de déménager son siège à Montréal. Choix stratégique, puisque Montréal est une ville où on parle le français et l’anglais, en plus d’être une métropole commerciale géographiquement bien placée entre les deux provinces. Lorsque le Parlement s’installe dans le tout nouveau bâtiment du marché Sainte-Anne, Montréal devient la capitale du Canada-Uni.

Construit en 1834, le marché Sainte-Anne est le plus moderne et certainement l’un des plus prestigieux bâtiments montréalais. Il est édifié au-dessus du collecteur William, un projet d’égout innovant pour l’époque, qui canalise les eaux de la rivière Saint-Pierre. Initialement conçu pour contenir plus d’une quarantaine d’étalages de viande et de poisson, ce lieu doit être réaménagé et assaini avant de pouvoir y installer le Parlement. Alors qu’on déménage les marchands dans des halles en bois à proximité, on procède à la rénovation intérieure du bâtiment dès le mois de mars 1844.

Le bâtiment est constitué d’un corps central de trois étages auquel sont annexées deux ailes de deux étages orientées d’est en ouest. Au rez-de-chaussée du corps central se trouve un grand hall d’entrée tandis que la buvette et le bureau du sergent d’armes sont installés au premier étage. Au deuxième étage du corps central se trouve la bibliothèque de l’Assemblée législative, haut lieu de savoir et de mémoire. La bibliothèque du Conseil législatif se situe quant à elle dans l’aile est. Les archives parlementaires sont conservées dans ces lieux qui font partie des plus importantes bibliothèques juridiques et historiques de la colonie. En effet, en 1849 elles rassemblent une collection de près de 25 000 ouvrages. Aménagés à l’identique, le rez-de-chaussée et le sous-sol des ailes est et ouest accueillent respectivement des appartements puis de nombreux bureaux répartis de part et d’autre d’un long couloir central qui traverse le bâtiment. Au premier étage de l’aile sud-est œuvre la branche législative du gouvernement avec la Chambre du Conseil législatif, sa bibliothèque, ainsi que les bureaux du président et du greffier. C’est au premier étage de l’aile nord-ouest que se situe la Chambre de l’Assemblée législative avec la salle du trône, ses galeries, les bureaux du président et du greffier, mais aussi un fumoir et des cabinets de toilette.

La première session parlementaire s’ouvre le 28 novembre 1844. Au Parlement se côtoient des hommes politiques célèbres tels que James Bruce, 8e comte d’Elgin, Sir George-Étienne Cartier, Sir Allan Napier MacNab, Louis-Joseph Papineau, John Prince, Sir Étienne-Paschal Taché, John A. Macdonald, mais aussi Sir Louis-Hippolyte Lafontaine et Robert Baldwin, respectivement premier ministre et vice-premier ministre du gouvernement responsable établi en 1848.

Débattues depuis février 1849, les compensations à accorder aux victimes de l’armée pendant les rébellions de 1837-1838 ravivent les tensions et les inquiétudes politiques. La sanction royale de la Loi sur l’indemnisation du 25 avril 1849 est accueillie dans la chambre par les cris scandalisés des uns et les applaudissements des autres. Les Tories appellent la population à manifester et une large foule s’agglutine autour de l’édifice du parlement le soir même. Les manifestants mettent le feu au bâtiment qui s’écroule sous les flammes tandis que l’accès aux pompiers est bloqué. Voilà la triste fin de l’histoire de Montréal en tant que capitale du Canada-Uni. Les ruines sont ensevelies et le marché sera reconstruit, mais le siège du Parlement est déménagé à Toronto.

Le site archéologique du Marché-Sainte-Anne-et-du-Parlement-du-Canada-Uni a fait l’objet de plusieurs campagnes de fouilles depuis 1980. Entre 2011 et 2019, les interventions archéologiques ont permis de rassembler et d’étudier une collection de 60 901 artéfacts et de plus de 14 000 écofacts liés à l’époque du Parlement de la province du Canada.

L’analyse de ce corpus archéologique doit tenir compte de processus de bouleversement des sols qui ont été bien documentés. En raison du nettoyage des décombres après l’incendie et du brassage des couches, aucune distinction nette ne peut être faite entre les niveaux associés à l’occupation du parlement et les niveaux sous-jacents reliés aux activités du marché Sainte-Anne de 1834 à 1844. Des artéfacts liés au contexte du parlement ont percolé vers le bas, tandis que d’autres objets associés au marché se sont retrouvés mélangés avec ceux du parlement.

Il est tout de même possible de reconstituer la collection du parlement suivant certains critères spécifiques, comme la présence d’altérations causées par l’incendie, des associations stylistiques ou spatiales avec des objets brulés ou la date probable d’introduction sur le marché montréalais (qui doit être postérieure à l’époque du marché Sainte-Anne). Sur la base de ces critères, une centaine d’artéfacts illustrant le quotidien des hommes politiques au travail ont pu être sélectionnés.

Parmi les objets les plus emblématiques de la sélection, il y a ceux qui furent indispensables au travail d’écriture et d’authentification pratiqué au Parlement. Qu’il s’agisse de greffiers, de journalistes, de bibliothécaires ou de députés, que ce soit pour documenter, archiver ou rapporter, pour assurer les correspondances avec l’étranger ou encore pour la gestion des affaires courantes, l’écriture était au centre des activités. Il y a aussi la gamme des objets en céramique et en verre. Des services à vaisselle aux formes élaborées inclus dans la collection offrent un aperçu des repas partagés entre parlementaires ou entre gens de passage. Or, l’assemblage le plus surprenant associé au siège du gouvernement est certainement celui qui évoque l’hygiène et l’attention particulière que semblent apporter les parlementaires à leurs soins personnels. Quelques éléments d’architecture viennent de plus offrir un aperçu des caractéristiques de ce bâtiment moderne. Enfin, des objets uniques évoquent le prestige et le luxe, tandis que d’autres témoignent des valeurs qui ont caractérisé cette époque.

Pour conclure, mentionnons l’aspect endommagé de nombreux objets. Puisque le contexte du parlement est associé à un incendie, la majorité des artéfacts démontre une surface altérée, noircie par le feu. Bien que les formes ne soient généralement pas modifiées, il est parfois nécessaire de faire preuve d’imagination afin de percevoir les décors et les couleurs d’origine. Seuls quelques artéfacts tordus et brulés ont été choisis, car leur pouvoir d’évocation est tel que, à eux seuls, ils peuvent nous faire sentir les braises et revivre ce moment tragique où tout est parti en fumée.

3D, Images et vidéos ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLE
Le Marché Sainte-Anne
Le Marché Sainte-Anne (Rue William, entre les rues McGill et Saint-Pierre)" Newton Bosworth, 1839.
Source : Montréal : Recueil iconographique : gravures historiques et illustratives relatives à la ville de Montréal, province de Québec, Canada, 1535-1885, Vol. I. Pl. 54, Charles P. De Volpi, F.R.P.S.L. - P.S. Winkworth. Collection Pointe-à-Callière.
Bouteille à champagne
Fouilles archéologiques sur le site archéologique du Marché-Sainte-Anne-et-du-Parlement-du-Canada-Uni.
Photo Alain Vandal, 2011. ©Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal
Soucoupe en porcelaine à décor floral
Inventaire de la collection archéologique du site archéologique du Marché-Sainte-Anne-et-du-Parlement-du-Canada-Uni.
Photo Alain Vandal, 2013. ©Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.