Le Paléoindien
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Le Paléoindien

Par Claude Chapdelaine et Éric Graillon

Le Paléoindien ancien : début du peuplement du Québec

L’aventure humaine au Québec débute avec l’arrivée des groupes qui taillent des pointes à cannelure en s’inspirant des pointes de la tradition Clovis. Le site Cliche-Rancourt est le seul site connu au Québec ayant révélé ce type de témoin culturel. Les outils en pierre taillée sélectionnés appartiennent tous au Paléoindien ancien par la typologie, le contexte et l’absence d’indices qui permettraient de les associer à d’autres moments de la préhistoire. Ce corpus est le seul qui témoigne d’une présence humaine à la fin du Pléistocène entre 12 400 et 11 800 ans avant aujourd’hui.

L’aventure humaine au Québec débuterait en Estrie dans la région du lac Mégantic. Ce groupe venu chasser le caribou dans un environnement de toundra serait originaire de la Nouvelle-Angleterre et se serait introduit sur le territoire par le col de montagne reliant les bassins des rivières Kennebec et Chaudière. Les principales matières premières lithiques identifiées sur le site Cliche-Rancourt proviennent du Maine et du New Hampshire. Le chert rouge Munsungun et la rhyolite beige du mont Jasper témoignent de l’ampleur du réseau d’approvisionnement et d’échanges. Les occupants du site Cliche-Rancourt sont des nomades circulant sur plusieurs centaines de kilomètres.

Le Paléoindien ancien est une longue période qui s’échelonne entre 13 000 et 11 600 ans avant aujourd’hui. La collection de Cliche-Rancourt est associée à un intervalle de temps généralement représenté par les pointes de type « Michaud-Neponset », dont l’âge est estimé entre 12 400 et 11 800 ans avant aujourd’hui. Ce sont plus particulièrement les huit pointes à cannelure, ainsi que des éclats de cannelure, qui permettent sans l’ombre d’un doute d’associer le site Cliche-Rancourt au Paléoindien ancien. Il faut préciser que la pointe à cannelure, en tant que geste technique, constitue un élément identitaire fort. Ainsi, l’enlèvement de longs éclats plats et étroits à partir de la base pour amincir la pointe et faciliter l’emmanchement est exclusif à cette période.

Ces chasseurs nomades ont laissé derrière eux un coffre à outils comprenant en plus des pointes, des éclats de cannelure, des bifaces, des forets, des grattoirs, des racloirs, des perçoirs, des pièces esquillées (ou coins) et des éclats utilisés. Les objets sélectionnés illustrent bien la diversité des catégories typologiques ainsi que l’importance des matières premières lithiques. La sélection d’un nucléus en chert rouge Munsungun témoigne de l’importance de la source du Maine évoquée dans un secteur particulier du site (aire 3) par plus de 7 000 éclats de débitage.

La famille du Paléoindien ancien sur Cliche-Rancourt est complétée par la sélection de huit outils taillés dans une rhyolite provenant du mont Kineo, une source localisée au lac Moosehead dans le Maine. Cette occupation est importante car les sept pointes sélectionnées s’apparentent au type « Agate Basin » et peut-être au type « Hell Gap », une variante régionale du type « Agate Basin », mais plus récente. Le huitième objet est un biface complet qui vient compléter ce sous-ensemble en soulignant l’importance de ce type d’objet et l’identification d’ateliers de taille pour produire des bifaces sur le site (aires 1 et 2).

La chronologie est un sujet qui évolue avec l’apport de nouvelles dates radiométriques. Le Paléoindien ancien est divisé par les archéologues américains en trois épisodes correspondant à des styles de pointes. Le style le plus ancien est identifié au Paléoindien ancien, tandis que le second type, « Michaud-Neponset » est identifié au Paléoindien moyen. Le troisième type, Cormier-Nicolas, complète la séquence attribuée au Paléoindien moyen. Dans cette classification américaine, les pointes de type « Michaud-Neponset » du site Cliche-Rancourt indiqueraient une composante culturelle du Paléoindien moyen au lieu du Paléoindien ancien.

Le Paléoindien récent : continuité de l’occupation du territoire

Le Paléoindien récent est une période associée à la culture Plano et représente le deuxième plus ancien chapitre pour reconstituer l’aventure humaine sur le territoire québécois. La chronologie des sites de la culture Plano demeure problématique dans le nord-est et pourrait se situer entre 11 350 et 8 800 ans avant aujourd’hui. Le cadre chronologique proposé par les archéologues américains s’appuie sur une continuité dans l’occupation du territoire, dont l’intervalle va de 10 800 à 10 000 ans avant aujourd’hui. Toutefois, rares sont les dates radiométriques qui appuient cet intervalle. Si la majorité des dates obtenues étaient acceptées, l’intervalle se situerait plutôt entre 10 000 et 9 000 ans avant aujourd’hui. Devant ces données, la plupart des archéologues semblent accepter que la durée de cet épisode culturel se soit maintenue plus longtemps et qu’il y ait eu contemporanéité entre des groupes du Paléoindien récent et de l’Archaïque ancien.

Cette culture est principalement caractérisée par l’absence de pointes à cannelure, la présence de pointes lancéolées s’apparentant au type « Agate Basin » et par des pointes à retouches parallèles de type « Sainte-Anne-Varney ». Ce type de pointe est facile à identifier avec sa base droite, ses bords parallèles et les retouches parallèles fines qui constituent la signature technique de cette pointe associée à la culture Plano et dont l’équivalent dans l’Ouest américain est la pointe « Eden ».

Au Québec, les sites associés au Paléoindien récent sont rares et se concentrent le long de la côte nord de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent. La sélection présente les plus récentes découvertes faites en Estrie. Les artéfacts proviennent de deux sites archéologiques localisés dans le haut bassin versant de la rivière Saint-François : les sites Gaudreau de Weedon (BkEu-8) et Kruger 2 de Brompton (BiEx-23). Les artéfacts significatifs sur le plan culturel, tels les pointes et les forets présents dans le corpus estrien, sont comparables aux corpus provenant d’autres régions, notamment les collections de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent. De plus, les deux principaux types de pointes Plano et certaines de leurs variantes illustrent la variabilité au sein même de cette catégorie d’outils, phénomène qui témoigne de la diversité des activités pratiquées sur les sites.

Enfin, trois artéfacts provenant des deux seuls sites paléoindiens connus à l’ouest de la rivière Saint-François, soit le site de l’île Thompson (BgFp-32) et le site B de Lacolle (BgFi-2), sont inclus dans la sélection. En effet, les sites du Paléoindien récent sont sous-représentés dans l’ouest du Québec.

ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLE
Vu du site Kruger 2 (BiEx-23)
Vu du site Kruger 2 (BiEx-23) en cours de fouille.
©Éric Graillon.
Pointe typique du Paléoindien ancien, de type « Michaud-Neponset »
Pointe typique du Paléoindien ancien, de type « Michaud-Neponset », provenant du lac aux Araignées, dans le secteur de Mégantic en Estrie.
Photo : Émilie Deschênes 2018, Creative Commons 4.0 (by-nc-nd) Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.
Pointe du Paléoindien récent de type « Plano »
Pointe du Paléoindien récent de type « Plano », de style « Sainte-Anne-Varney », provenant de La Martre en Gaspésie (DhDm-1-525-5).
Photo : Émilie Deschênes 2016. Creative Commons 4.0 (by-nc-nd) Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.