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Les missions :
la mission Notre-Dame-de-Lorette, le fort Lorette et le fort Abénakis

La mission Notre-Dame-de-Lorette (1673-1697)

Par Anja Herzog

À la fin des années 1640, les guerres iroquoises forcent une grande partie de la population iroquoienne de l’Ontario à quitter leur terre natale. En 1650, un groupe d’environ 300 Hurons-Wendats de la région de la baie Georgienne, accompagné de missionnaires jésuites, vient s’installer auprès de la colonie française de Québec. Au cours des années suivantes, d’autres attaques iroquoises les inciteront à se déplacer à nouveau, et ce à plusieurs reprises. En 1673, la communauté décide de s’installer à l’intérieur des terres, près de la rivière Lorette, où prend naissance la mission Notre-Dame-de-Lorette. Elle sera occupée sur une période de 24 ans. En 1697, les Hurons-Wendats déménagent une dernière fois le village sous la pression de Mgr de Saint-Vallier, qui veut fonder une nouvelle paroisse pour la communauté française locale. La mission sera donc rétablie près de la rivière Saint-Charles, à un endroit nommé la Jeune-Lorette, qui deviendra le berceau de la communauté de Wendake actuelle.

La mission Notre-Dame de Lorette (1673-1697) témoigne de multiples façons du contact continuel et étroit entre Autochtones et Français. La documentation historique et les diverses interventions archéologiques, dont la plus importante a eu lieu en 2018, révèlent des adaptations et des métissages dans les modes de vie. Bien que les vestiges archéologiques témoignent d’amalgames culturels, l’héritage traditionnel des Hurons-Wendats et des quelques Iroquois installés à la mission demeure bien représenté à travers les aménagements et la culture matérielle.

Les Jésuites, imprégnés de la culture et des modes européennes, optent pour une chapelle construite en briques à l’image de la sainte maison de Nazareth du lieu de pèlerinage de Loreto en Italie. Ils l’imaginent au cœur du nouveau village, dont l’aménagement suivra un plan linéaire et où les maisons seront installées dans un quadrilatère entourant la chapelle. Cependant, la chapelle sera plutôt entourée de maisons longues faites de bois et d’écorce, construites par les Hurons-Wendats selon leurs traditions ancestrales. Au sein de cette communauté de convertis, les activités et les modes de vie suivent les traditions établies, tout en intégrant des composantes européennes. Les 65 objets sélectionnés pour représenter la mission illustrent bien ce phénomène. Ils proviennent tous du secteur nord-ouest de l’ancien village, où se trouvaient au moins trois maisons longues.

La pratique de l’horticulture à la mission Notre-Dame-de-Lorette est principalement basée sur la culture du maïs, mais le haricot et la courge sont aussi cultivés. À ces trois plantes indigènes cultivées par les Autochtones depuis des millénaires s’ajouteront des cultigènes européens, notamment le pois et certaines céréales. On pratique la chasse, la pêche et la traite. Les restes osseux témoignent de la prise d’une grande diversité d’animaux sauvages, qui fournissent une nourriture variée et des fourrures pour le troc. Une espèce domestique d’origine européenne, le porc, est aussi représentée dans les assemblages zooarchéologiques.

Des armes à feu d’origine française sont principalement utilisées à la mission, peut-être en raison de la proximité du ravitaillement français. L’artisanat autochtone est bien représenté par la taille sur place d’une grande quantité de pipes en pierre de modèles variés, comme en témoigne la multitude d’éclats de taille et d’ébauches, qui représentent les différentes étapes du processus de fabrication. Quelques rares fragments de vases autochtones s’ajoutent aux céramiques européennes, retrouvées en grande quantité.

L’engouement pour les parures et les objets de traite est perceptible. Il est révélé par des importations européennes, telles les nombreuses perles de verre et la bague dite « jésuite », ainsi que par de l’artisanat autochtone traditionnel, tels des perles et des pendentifs en coquillage, en pierre ou façonnés à partir de mammifères. On retrouve aussi des objets fabriqués avec des matériaux européens, souvent récupérés, comme des cônes clinquants et des perles faits de fragments de chaudron en métal cuivreux. Des fragments de passementerie suggèrent la présence de textiles raffinés apportés par les Jésuites ou encore de vêtements européens plus prestigieux possiblement obtenus par la traite.

La représentation marquée de la catlinite (perles, pendentifs en forme de castor) ainsi que la présence d’objets façonnés à partir d’une variété de coquillages de la côte est américaine (perles, pendentifs) dans la collection suggèrent l’existence de réseaux d’échanges sur de longues distances.

Enfin, des grains de chapelet en os et en ivoire, les fragments d’un chapelet en perles de verre et un petit Christ en croix témoignent de la fonction religieuse des lieux. La spiritualité et les rituels autochtones sont représentés par les pipes à effigie en terre cuite et le fragment d’un calumet en catlinite.

Ainsi, le site de la mission Notre-Dame-de-Lorette et sa collection fournissent des éléments clés dans la compréhension des relations entre les communautés autochtones et franco-canadiennes à la fin du XVIIe siècle. En effet, les témoins matériels nous offrent un aperçu du mode de vie des occupants de la mission, un amalgame d’emprunts de culture matérielle utilitaire et de réappropriation de matériaux européens, ainsi que d’affirmation des savoirs-faires et des pratiques traditionnelles.

La mission du fort Lorette (1696-1721)

Par Marie-Claude Brien

La mission du fort Lorette est établie par les Sulpiciens en 1696 en remplacement de la mission de la Montagne. Comme toutes les missions établies par les Sulpiciens, cet établissement était constitué d’un fort institutionnel, d’un village autochtone, d’un cimetière et de nombreux champs et forêts permettant à la communauté qui y vivait de subvenir à leurs besoins. La mission du fort Lorette est occupée pendant une vingtaine d’années seulement et est abandonnée en 1721 à la faveur de la mission du Lac-des-Deux-Montagnes.

Le site archéologique de Fort-Lorette a été découvert en 2017 à la suite d'un inventaire exploratoire commandé par la Ville de Montréal et le ministère de la Culture et des Communications sur un terrain qui devait faire l'objet d'un développement immobilier. La mise au jour de vestiges et de contextes archéologiques associés à l'occupation de cette mission a mené à l’imposition d’une réserve foncière par la Ville de Montréal et au classement du site. Un second inventaire archéologique a été réalisé en 2018 afin de répondre à des questions de recherches bien précises découlant de la première intervention. Au terme des deux interventions archéologiques, une trentaine de vestiges ont été mis au jour, documentant plus de 300 ans d’histoire. De ce nombre, trois tranchées et deux maçonneries sont indéniablement liées à la mission du fort Lorette et rattachées à une culture matérielle typique de ce type d’établissement.

La collection comporte plusieurs catégories d'artéfacts typiques des missions autochtones établies par des missionnaires catholiques. Les artéfacts sélectionnés témoignent d’un milieu de vie unique où les traditions françaises et autochtones se sont côtoyées et combinées. Certains objets sont de fabrication autochtone, d'autres de fabrication européenne ou euro-canadienne. Ils proviennent de contextes archéologiques associés à l'occupation et à l'abandon de la mission de fort Lorette ou alors de contextes remaniés, mais ils sont visiblement de facture ancienne.

La grande majorité des artéfacts de cette collection appartient à des objets de parure ou à des bijoux. Elle comprend un cône clinquant, une retaille de cuivre correspondant à une préforme de cône clinquant, deux perles en argilite, dont une en coquillage, ainsi que plusieurs modèles en verre. On retrouve également divers types d'attaches, tels un bouton et des boucles. Un grain de chapelet en os a aussi été découvert et rappelle la fonction religieuse du site. Pour ce qui est des outils, mentionnons la présence d'un grattoir et de deux pierres à fusil épuisées, probablement utilisées plus d’une fois. À cela s'ajoute une plaque de couche d'un fusil français et un fourneau de pipe en pierre non décoré. La collection comporte par ailleurs quelques fragments de vaisselle de préparation (en terre cuite commune d'Europe) et de vaisselle de service (en faïence) que l'on peut associer à la présence des missionnaires et des sœurs.

Le fort Abénakis (1704-1759)

Par Geneviève Treyvaud et Roxanne Lévesque

Selon la tradition orale w8banaki (abénaquise), les missionnaires français seraient présents dans les villages du Ndakina, territoire ancestral des W8banakiak (Abénaquis), depuis 1615. À la fin du 17e siècle, le père jésuite Jacques Bigot fonde la mission de Saint-François-de-Sales aux abords de la rivière Chaudière. En raison de l’accroissement du nombre de résidents à la mission, celle-ci est transférée sur la rive est de la rivière Saint-François (Alsig8tekw), où des W8banakiak (Abénaquis) se trouvent déjà. Au début du 18e siècle, la mission devient le plus grand établissement w8banaki de la Nouvelle-France. Le fort est construit sur l’ordre du roi Louis XIV, à partir d’un plan dressé par l’ingénieur du roi, Jacques Levasseur de Néré, en 1704. Cette fortification, construite sur les terres seigneuriales d’Hertel-Crevier, assure la poursuite de l’évangélisation des W8banakiak, en plus de permettre aux autorités coloniales d’affermir leur position militaire dans la vallée du Saint-Laurent et de contrer les incursions des Anglais et des Iroquois.

Au matin du 4 octobre 1759, le général Jeffery Amherst envoie le major Robert Rogers et un détachement de 200 rangers et miliciens prendre le fort, en réponse aux nombreuses attaques des W8banakiak en territoire anglais. En l’absence des guerriers W8banakiak, partis combattre dans les rangs de Montcalm à Québec, le village et la mission sont incendiés mais seront reconstruits pour devenir l’actuel village d’Odanak, toujours occupé par les W8banakiak.

Le site de Fort Abénakis (CaFe-7) a été découvert à l’automne 2009 lors d’une intervention archéologique réalisée par le Musée des Abénakis et le Conseil des Abénakis d’Odanak. Cette découverte a permis la mise en place du projet « Fort Odanak; le passé revisité ». L’équipe d’archéologie du Musée des Abénakis et du Bureau du Ndakina, a mis au jour un ensemble de vestiges qui témoigne de la présence du Fort. La présence d’une palissade a été révélée par la découverte de traces de poteaux massifs, et celle de maisons longues, par l’identification de fosses et de traces de piquets.

Les fosses, creusées dans le sable, contenaient des quantités importantes d’ossements d’animaux très bien conservés. En plus des ossements de poissons s’y trouvaient des ossements de mammifères terrestres tels le rat musqué, le castor et le chevreuil. Ces fosses contenaient également des ornements de cuivre ainsi que des perles de verre, d’os et d’argilite rouge. Les traces de piquets indiquent quant à elles la présence d’aménagements domestiques comme des banquettes de couchage, des plateformes d’entreposage ou des supports pour la cuisson.

La collection d’artéfacts inclut des perles fabriquées à partir de mollusques de la Nouvelle-Angleterre, des pierres à fusil transformées en perçoirs, des éléments décoratifs ou religieux tels qu’une bague dite « Jésuite » ainsi qu’un médaillon en ardoise gravé de lignes fines représentant des croix et des chevrons.

La collection comprend également des Man8mgemasak, concrétions calcaires ou argileuses aux formes inhabituelles, retrouvées dans des fosses en association avec de l’ocre rouge et des perles. Façonnées par la nature, ces pierres ont été ramassées et intégrées à la culture matérielle des W8banakiak en raison de leur morphologie particulière, qui évoque souvent un animal ou un petit être. Elles sont parfois modifiées avec l’ajout de motifs figuratifs ou géométriques gravés sur la surface. Une fonction spirituelle et éducative leur est attribuée.

Enfin, des macrorestes végétaux témoignent des habitudes alimentaires des W8banakiak, tels des fragments d’épis de maïs carbonisés, associés à une variété indigène à huit rangs nommée « Northern Flint ».

L’ensemble des vestiges mis au jour témoigne de la récupération et de la transformation de matériaux d’origine européenne à la manière traditionnelle w8banaki et il indique clairement la présence du village et de la mission occupés par les W8banakiak depuis le 17e siècle.

ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLE
Représentation du fort Lorette
Représentation du fort Lorette tirée de C.P. Beaubien, Le Sault-au-Récollet: ses rapports avec les premiers temps de la colonie. Mission-Paroisse. Montréal, C.O Beauchemin & fils, 1898, p.238.
Intervention archéologique sur le site du fort Lorette en 2017
Intervention archéologique sur le site du fort Lorette en 2017, vestiges archéologiques de fondations en maçonnerie (BjFj-184).
©Arkeos.
Plan du Fort et mission des Abénakis, 1704
Plan du Fort et mission des Abénakis, 1704, intitulé : « Plan du village des sauvages de St. François des Abenakis levé sur les lieux en l’année 1704 », par Jacques Levasseur de Néré.
Source : Archives nationales d'outre-mer FRCAOM 0DFC491B.
Intervention archéologique sur le site du fort et mission d’Odanak
Intervention archéologique sur le site du fort et mission d’Odanak, vestiges associés à une fosse et à un poteau (CaFe-7).
Source : Société historique d'Odanak, Musée des Abénakis, Odanak, Québec, Canada
La mission Notre-Dame-de-Lorette
La mission Notre-Dame-de-Lorette, telle que représentée sur la carte de Robert de Villeneuve (1685-1686). Extrait de « Carte des environs de Québec en la Nouvelle France mezuré sur le lieu très exactement en 1685 et 1686 par le Sr Devilleneuve Ingénieur du Roy ».
Série de trous de poteaux observables en stratigraphie
Fouilles archéologiques sur le site de la Mission Notre-Dame-de-Lorette et du vieux presbytère de L’Ancienne-Lorette en 2018 (CeEu-11), série de trous de poteaux observables en stratigraphie.
©GAIA, coopérative de travail en archéologie.