Pointe-du-Buisson
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Pointe-du-Buisson : cinq millénaires d’occupations et six décennies de recherches

Patrick Eid

L’assemblage d’artéfacts présenté ici n’est qu’un échantillon d’une collection renfermant plus de deux millions d’objets, mise au jour sur le site archéologique de la Pointe-du-Buisson (BhFl-1), à Beauharnois. Les artéfacts sélectionnés témoignent de cinq millénaires d’occupations de ce lieu unique. Les objets proviennent de différents secteurs du site (appelés « stations »), ayant chacun leurs caractéristiques particulières. Le site de la Pointe-du-Buisson est un jalon incontournable pour la compréhension de la période préhistorique au Québec.

L’attrait pour ce site, occupé depuis près de 5000 ans, vient d’abord de son emplacement stratégique en aval de rapides du fleuve Saint-Laurent qui en fait un lieu obligé de portage pour les groupes humains voyageant en embarcations. Il se situe également près d’un carrefour de voies d’eau permettant la liaison entre diverses régions du Nord-Est américain. De plus, le cadre hydrographique particulier du secteur crée un contexte des plus favorables aux ressources halieutiques avec la présence d’environ 75 espèces de poissons. Enfin, les nombreux plateaux séparés par des ravinements et peuplés d’une érablière à caryer offrent autant de lieux d’occupation où abondent des ressources animales et végétales convoitées par les Premières Nations.

Ainsi, des groupes autochtones s’y sont établis de génération en génération, laissant derrière eux des millions d’archives sous la forme d’artéfacts (pierre taillée et polie, céramique, outils en os, etc.), d’écofacts (os, restes botaniques) et d’aménagements (foyers, fosses, traces de poteaux, sépultures). L’archéologie, en tant que discipline naissante au Québec, a choisi ce site exceptionnel pour déployer ses premières recherches d’envergure sur la préhistoire dans les années soixante. Depuis 1965 jusqu’à ce jour, le site a fait l’objet de recherches presque ininterrompues par divers intervenants, dont l’Université de Montréal. En effet, le site de la Pointe-du-Buisson a été le lieu de formation des étudiants en archéologie pendant plus de vingt ans et a fait l’objet de nombreuses recherches académiques. Celles-ci ont généré une abondance de données qui ont entre autres permis de définir le cadre chrono culturel de la préhistoire du Québec.

Les premières fréquentations du site de la Pointe-du-Buisson remontent à la phase laurentienne de l’Archaïque supérieur (5500 à 4200 AA). Les indices matériels de cette époque demeurent relativement discrets, mais ils deviennent plus marqués à la phase post-laurentienne (4500 à 3000 AA). On retrouve durant ces deux périodes nombre d’artéfacts en pierre taillée et polie, notamment des pointes de projectiles dont les styles sont souvent affiliés aux grands types rencontrés ailleurs dans le Nord-Est américain.

Durant le Sylvicole inférieur (3000 à 2400 AA), époque où les premiers vases en céramique font leur apparition au Québec, le site semble encore plus fréquenté qu’à la période précédente. Le matériel associé à cette époque est souvent affilié à la tradition Meadowood, caractérisée par une poterie sans décoration et des objets en pierre taillée fabriqués dans une pierre provenant de la région des Grands Lacs (chert Onondaga). Des sépultures attribuées à cette époque, comportant un riche mobilier funéraire, ont également été trouvées dans un des secteurs du site (station 5).

Au Sylvicole moyen ancien (2400 à 1500 AA), la poterie est très présente sur plusieurs stations du site et la fréquentation des lieux s’intensifie toujours, que ce soit pour des haltes de courte durée ou des séjours plus prolongés. C’est toutefois au Sylvicole moyen tardif (1500 à 1000 AA) que le site de la Pointe-du-Buisson connaît l’apogée de son occupation. Durant les cinq siècles de cette période, des groupes fréquentant le secteur s’installent sur le site de manière prolongée pour exploiter les ressources du fleuve. Cette semi-sédentarisation, rendue possible par la pêche intensive, a probablement été un facteur déterminant vers l’adoption d’un mode de vie sédentaire et horticole à la période suivante. Cette activité économique a généré ainsi de nombreux outils, notamment des hameçons et des harpons en os dont certains ont pu résister à l’action du temps.

Le Sylvicole moyen tardif au site de la Pointe-du-Buisson se démarque par une tradition céramique régionale particulière (tradition Melocheville). Les groupes en présence ont développé une production inédite caractérisée par l’ajout de parements et la fréquence élevée de ponctuations créant des bosses sur la paroi interne des vases. L’intensité du travail de la céramique est d’ailleurs corroborée par la présence de milliers de rebuts d’argile cuite. La persistance, pendant près de 500 ans, de cette production céramique relativement homogène traduit de manière certaine l’existence d’une stase technologique qui se démarque des productions contemporaines dans l’État de New York et en Ontario.

Au Sylvicole supérieur (1000 à 450 AA), l’occupation du site baisse considérablement. En effet, les sols argileux sont peu propices à l’exploitation horticole qui devient la nouvelle économie de subsistance des groupes iroquoiens fréquentant la vallée du Saint-Laurent. La production céramique sera elle aussi touchée par un vent de changement, puisqu’on y observe désormais la signature unique des potières iroquoiennes.

Durant la période historique, le site demeure un chemin de portage pour les Premières Nations et les Français, mais on semble désormais s’y arrêter très peu. Vers 1835 cependant, la villa seigneuriale de la famille Ellice est érigée sur place et le site devient un lieu de villégiature.Il est fréquenté par des seigneurs dans un premier temps, puis plus tard par des promeneurs, des pêcheurs récréatifs et des vacanciers.

Aujourd’hui, le site et sa forêt vernaculaire sont protégés et font partie de l’institution Pointe-du-Buisson, Musée québécois d’archéologie, qui assure la diffusion et la mise en valeur du fruit de plusieurs décennies de recherche.

ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLE
Vue aérienne de la Pointe-du-Buisson
Vue aérienne de la Pointe-du-Buisson.
© Pointe-du-Buisson 2011.
Fouilles archéologiques ouvertes au publique sur le site de la Pointe-du-Buisson (BhFl-1), activité éducative offerte par le musée
Fouilles archéologiques ouvertes au publique sur le site de la Pointe-du-Buisson (BhFl-1), activité éducative offerte par le musée.
© Pointe-du-Buisson 2016.
Fouilles archéologiques ouvertes au publique sur le site de la Pointe-du-Buisson, tamisage des sols afin de retrouver les artéfacts de très petites dimensions
Fouilles archéologiques ouvertes au publique sur le site de la Pointe-du-Buisson, tamisage des sols afin de retrouver les artéfacts de très petites dimensions.
© Pointe-du-Buisson 2019.
Pointe-du-Buisson, Musée québécois d’archéologie (ouvert depuis 1986)
Pointe-du-Buisson, Musée québécois d’archéologie (ouvert depuis 1986).
© Pointe-du-Buisson.