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Archéologie publique : notre rôle collectif envers le passé

par Katherine Cook, professeure adjointe, Université de Montréal.

Toute l'archéologie n'est-elle pas publique ? À qui appartient le passé ? Pourquoi certains sites ou collections archéologiques sont-ils inaccessibles ? Pourquoi transformer les pratiques archéologiques traditionnelles ? Ce sont les questions qui accompagnent souvent toute mention de l'archéologie publique. Et ce sont des questions importantes à la base de l'ensemble des méthodes, pratiques et réflexions que nous observons plus largement dans l'archéologie aujourd'hui.

Bien que les réponses à ces questions soient très diverses, les différentes activités de « l’archéologie publique » s’articulent autour des principes communs suivants :

  • l'accès et l’engagement public avec les collections et les interprétations archéologiques ;
  • l'inclusion et l'équité envers des diverses communautés et publics, mais aussi les archéologues et professionnels qui travaillent dans ces milieux ;
  • la transparence et l’éthique dans la pratique professionnelle.

En fin de compte, l'archéologie publique n'est pas une niche, mais plutôt un reflet de l'évolution des attitudes, des compréhensions et de l'impact des chercheurs et chercheuses, et de leurs relations avec les communautés aujourd'hui.

valeurs croisées de l'archéologie publique
Les valeurs croisées de l'archéologie publique, et les types de pratiques qui les reflètent
© Katherine Cook, 2022

L'héritage de notre passé

Le moyen le plus simple d'expliquer ce qu'est l'archéologie publique est peut-être de commencer par sa genèse. Comme de nombreux domaines scientifiques, de plus en plus d’archéologues travaillent actuellement en collaboration avec de nombreuses communautés pour reconnaître et traiter les racines coloniales de nos études. Malheureusement, des générations de travaux ont été menées sans l'autorisation des communautés de descendants, menant souvent à des interprétations discriminatoires, des résultats inaccessibles, des collections retirées des territoires traditionnels, et à un manque plus général d'éthique et de transparence. Il reste beaucoup à faire pour décoloniser les cadres du travail archéologique, assurer la restitution des objets, des restes humains et des connaissances, et améliorer les relations entre les communautés et les archéologues.

Une partie de cette nouvelle approche repose sur une plus grande collaboration avec les communautés afin de répondre à leurs besoins, leurs valeurs et leurs attentes. En outre, les tenants de cette approche privilégient un accès accru aux collections et aux connaissances archéologiques, et insistent sur l’importance de contribuer à nos sociétés contemporaines. Ces tendances sont à l'origine de la récente augmentation des investissements et de la valorisation de l'archéologie publique.

Diffusion

Les projets d’éducation et de sensibilisation sont les plus communs dans le monde de l’archéologie publique. Expositions muséales, conférences publiques, émissions de télévision, visites de sites archéologiques sont autant d’activités visant à faire connaître les méthodes de l'archéologie et les connaissances archéologiques du passé à un public plus large.

Les principales approches de l’archéologie publique relèvent du domaine de la communication scientifique (ou #scicomm), qui se penche sur le développement de moyens plus intéressants, plus attrayants et plus efficaces pour enseigner et apprendre sur le passé. Ces efforts incluent des considérations d'accessibilité (s'assurer que tout le monde peut accéder à l'information, sans barrières physiques, économiques ou autres) et d'inclusion (s'assurer que chacun a un sentiment d'appartenance dans les milieux archéologiques / patrimoniaux).

Un événement interactif public
Un événement interactif public présentant des artefacts locaux au Royal BC Museum
© Jennifer van Hardenberg, 2017

Au Québec, nous profitons d’initiatives bien établies comme le Réseau Archéo-Québec, qui organise chaque année le Mois de l’archéologie et plusieurs autres activités de diffusion, ou les musées comme Pointe-à-Callière (Montréal) ou le Musée d’archéologie de Roussillon (Roussillon). De plus en plus, les technologies (« archéologie numérique ») sont également mobilisées pour accroître l'accès à l'information, par exemple en utilisant les médias sociaux et les sites web. D'autres technologies sont essentielles pour transformer notre compréhension du passé ; un exemple est Built on Bones (ci-dessous) qui utilise la réalité augmentée afin de recouvrir nos environnements urbains contemporains de rappels de leurs racines coloniales.

Il est important de reconnaître l'importance de rechercher les sources fiables d'informations archéologiques, car les sources pseudoarchéologiques ou pseudoscientifiques abondent, notamment sur Internet. Recherchez les informations qui proviennent d'archéologues professionnels ou de communautés de descendants (ou qui sont approuvées par ces groupes), cherchez l’intégration des données qui prouvent les interprétations, et posez des questions critiques sur la façon dont la recherche a été entreprise et pourquoi. Il peut s'agir de fournir un accès libre aux données brutes (non analysées) afin de permettre à quiconque d'analyser les données et d'entreprendre des recherches plus approfondies, ou encore d'une plus grande transparence dans la démonstration des preuves d'interprétations lors de la présentation de récits interprétés du passé. Il est également important que les archéologues communiquent les zones grises, les incertitudes ou autres limites potentielles aux interprétations, et que le public reconnaisse que celles-ci sont inhérentes aux méthodes scientifiques.

Exemple d'application de réalité augmentée
Exemple de la façon dont les applications de réalité augmentée peuvent être utilisées pour remodeler notre compréhension du passé, par exemple en attirant l'attention sur les histoires coloniales
© Built on Bones, Katherine Cook, 2017

Participation et Collaboration

Garantir un meilleur accès du public à l'archéologie et au patrimoine n'est toutefois qu'une partie de la réponse aux enjeux d’accessibilité et de transparence. De nombreux archéologues cherchent aujourd'hui à transformer la pratique archéologique du début à la fin en impliquant les communautés de descendants, les résidents et d'autres personnes dans le processus. Ces pratiques peuvent inclure des événements participatifs tels que des consultations ou des journées portes ouvertes pendant les fouilles, mais vont souvent plus loin en développant des partenariats intensifs qui conçoivent, entreprennent et diffusent les recherches ensemble. L'archéologie communautaire entre également dans cette catégorie - c'est-à-dire la recherche initiée par les communautés et motivée par leurs besoins, leurs intérêts et leurs connaissances (qui peuvent embaucher des archéologues pour des connaissances techniques ou pratiques).

Laboratoire d’archéologie publique à l’Université de Montréal
Le Laboratoire d’archéologie publique à l’Université de Montréal crée un espace pour soutenir la collaboration communautaire dans des projets archéologiques
© Katherine Cook, 2020

La recherche collaborative, qui est de plus en plus courante aujourd'hui, comprend souvent des équipes diverses composées d'archéologues, de membres de la communauté (ou de plusieurs communautés), mais aussi de représentants de gouvernements ou de musées, d'éducateurs, etc. Par exemple, depuis sa création dans les années 1980, le programme d'archéologie communautaire avec les Inuits du Nunavik au sein de l'Institut culturel Avataq a intégré des jeunes, des aînés et d'autres membres de la communauté pour relier les connaissances, l'éducation et la recherche. Les approches collaboratives permettent de s'assurer que le travail effectué est culturellement approprié et qu'il ne nuit pas aux communautés contemporaines ni à leurs ancêtres. Celui-ci peut impliquer la gouvernance autochtone des collections, sites ou données, l'inclusion de l'histoire orale et des connaissances traditionnelles, un travail d'activisme et de plaidoyer, le centrage des voix sous-représentées (autochtones, noires, queer, etc.) dans les récits présentés au public, et la superposition de différentes sources d'information sur le passé.

Une partie de ce travail consiste également à corriger les erreurs commises dans la pratique de l'archéologie. Il y a notamment beaucoup de travail à faire pour restituer aux communautés de descendants les restes humains et les objets culturels qui se trouvent actuellement dans les musées, les universités et d'autres institutions partout dans le monde. Cela demande beaucoup de temps, d'argent et de collaboration, et nécessite le soutien des institutions, des gouvernements et du public pour progresser.

Il est très important de noter que cela n'affaiblit pas l'archéologie et la validité scientifique de la recherche, comme cela a été prétendu dans certains débats publics. Au contraire, la recherche collaborative produit des compréhensions beaucoup plus nuancées, complexes et précieuses du passé, tout en protégeant les personnes passées et présentes de traumatismes émotionnels, spirituels ou physiques non nécessaires. Par exemple, le projet Tiohtià:ke, une collaboration entre le Conseil Mohawk de Kahnawà :ke, l’Université de Montréal et le musée Pointe-à-Callière entreprend un projet de synthèse et de consolidation des preuves archéologiques avec des histoires orales, des archives, et des analyses linguistiques pour faire progresser la connaissance du territoire traditionnel, de l'identité et de la culture matérielle. Le tressage de ces différents fils permet de mieux comprendre le passé, tout en contribuant à la réconciliation et en s'attaquant aux séquelles du colonialisme qui ont contribué à effacer la culture et les savoirs autochtones dans cette région, comme dans de nombreuses régions du Canada.

C'est là que réside le potentiel de décolonisation de l'archéologie et d'imagination de meilleures approches de l'étude, de l'intendance et du partage du passé. C'est également là que l'archéologie devient une responsabilité collective : nous devons tous travailler ensemble pour garantir que les recherches entreprises sont éthiques, valables, inclusives et qu'elles contribuent à nos communautés aujourd'hui.

En savoir plus

Laurence G. Bolduc (2018) Au cœur de l’archéologie publique: portrait d’un domaine de recherche en expansion. Revue Archéologiques 31: 96-107. https://www.academia.edu/38150075/Au_coeur_de_l_archéologie_publique_portrait_d_un_domaine_de_recherche_en_expansion

Éric Chalifoux et Christian Gates Saint-Pierre (n.d.) The decolonization of archaeology: The emergence of collaborative archaeology. Salons. https://salons.erudit.org/en/2017/08/01/decolonization-of-archeology/

Katherine Cook, Richard Lapointe, Bruno Lemay et Marika Roy (2020) La truelle et l’ordinateur. Continuité 166: 14-16 https://www.erudit.org/fr/revues/continuite/2020-n166-continuite05520/94157ac/resume/

Renaud Proulx (2019) Décoloniser l’archéologie. Quartier Libre. https://quartierlibre.ca/decoloniser-larcheologie/

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