Les postes de traite
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Les postes de traite :
des fourrures pour l’Europe

Christian Roy

Principale activité économique de la colonie entre le début du 17e siècle et les années 1830, la traite des fourrures n’était rien de moins qu’un vaste système d’échanges de biens, mis en place entre les marchands eurocanadiens et les premiers habitants du pays, pour tirer profit de l’exploitation des ressources fauniques. Sur un territoire aussi étendu et peu connu, la traite ne pouvait se faire sans la participation des chasseurs autochtones. Ce partenariat informel, certes inégal, favorisait de manière générale les relations paisibles entre Premières Nations et Européens. Puisque le commerce des fourrures exigeait la collaboration des deux parties, des points de rencontre étaient essentiels pour troquer ces pelleteries contre des biens importés. Ces lieux d’échanges étaient les comptoirs ou postes de traite établis par les marchands et les coureurs des bois pour y entreposer leurs produits et les fourrures obtenues en contrepartie.

Si le poste de traite peut être défini comme l’espace aménagé où se rencontraient Autochtones et Eurocanadiens pour échanger leurs biens respectifs, ces établissements deviennent avec le temps plus que de simples lieux d’échanges. Le poste de traite servait aussi de camp de base aux traiteurs et aux voyageurs et faisait office de centre de service local ou régional, comblant les besoins variés de sa clientèle autochtone. Situé à la frontière entre deux univers difficilement conciliables, le poste de traite était un témoin privilégié des contacts avec les Premières Nations. Bien qu’ils aient constitué des points de chute où s’opéraient des activités commerciales dans un contexte transculturel, ces établissements s’élevaient avant tout sur les emplacements que se sont appropriés les marchands de fourrures en bordure des côtes, des lacs et des rivières. En fonction de leur expérience, les traiteurs ont aménagé ces lieux à leur image, recréant ainsi des espaces familiers au sein d’une nature a priori hostile et peu accueillante.

Pendant la longue période du commerce des fourrures, des postes ont été érigés en des endroits et dans des environnements variés, couvrant éventuellement l’ensemble du territoire, du sud du Québec jusqu’au détroit d’Hudson. Si les premiers établissements ont été construits le long des côtes du fleuve et du golfe du Saint-Laurent, on voit apparaitre des comptoirs dans l’hinterland dès le début des années 1670. Plus faciles d’accès, les postes côtiers ont sans doute été implantés en des lieux fréquentés par les Autochtones lors de leur déplacement estival vers la côte. Quant aux postes de l’intérieur, plus isolés, ils s’élevaient le long des routes d’eau ou sur les rives des lacs de tête. De manière générale, on recherchait les sites offrant un terrain sec et plat, avec vue sur les voies d’accès. Bien sûr, l’emplacement d’un poste de traite était non seulement dicté par la présence des Autochtones, mais aussi par la proximité des ressources fauniques recherchées. Qui plus est, comme les traiteurs dépendaient largement de l’environnement pour subvenir à leurs besoins, le choix d’un site devait aussi tenir compte de l’abondance du gibier et du poisson, de la présence de bois de construction et de chauffage, et de la qualité des sols pour y faire un potager.

Avec la fondation de Québec, en 1608, le commerce des fourrures devient la première activité économique de la nouvelle colonie, et la traite, jusque-là côtière, se déplace vers la vallée du Saint-Laurent avec la mise en place de lieux de rencontres comme Trois-Rivières et Montréal. Pendant la belle saison, les intermédiaires autochtones viennent y troquer leurs pelleteries. Mais, la destruction de la Huronie et l’insécurité qui règne dans la vallée du Saint-Laurent à partir des années 1650 obligent les Français à se rendre à l’intérieur des terres afin de recueillir les fourrures qui leur étaient livrées auparavant. Commencent alors la course des bois et les premières explorations de l’intérieur du continent. Néanmoins, en 1660, la colonie est au bord du gouffre, car aucune pelleterie n’est parvenue dans la vallée laurentienne depuis deux ans. Louis XIV dépêche alors, en 1665, le régiment de Carignan-Salières pour pacifier l’Iroquoisie et rouvrir aux Français le chemin des Grands Lacs, l’un des plus importants réservoirs de fourrures de l’Amérique du Nord.

Avec la fin des raids iroquois, la course des bois s’accentue. Toutefois, l’arrivée des Anglais à la baie James, en 1668, et la fondation de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) deux ans plus tard, provoquent une prise de conscience au sein de la classe marchande canadienne. Cette présence britannique dans l’arrière-cour de la Nouvelle-France favorise l’implantation de postes de traite à l’intérieur des terres afin d’éviter que les meilleures pelleteries du nord soient drainées vers la baie James. Puis, en 1674, la traite de Tadoussac est rattachée au Domaine du Roi et affermée à divers financiers pour administrer le commerce des fourrures sur un vaste territoire, qui s’étendait du lac Mistassini jusqu’au golfe du Saint-Laurent. Les années suivantes voient une intensification de ce commerce avec l’instauration des congés de traite en 1681.

De concert avec le début de la seconde guerre iroquoise (1684-1701), la fin du 17e siècle voit les autorités coloniales françaises prendre le contrôle des postes anglais, à la suite de l’expédition du chevalier de Troyes à la baie James et d’une grave crise due à l’abondance des peaux et à un changement de mode dans l’industrie chapelière européenne. La suppression des congés de traite à partir de 1696 cause la fermeture de la plupart des postes et ce n’est qu’au début des années 1720, une fois les surplus écoulés, que les Français réoccupent l’intérieur du continent afin de faire face à la CBH, de retour sur les rives de la baie d’Hudson après la signature du traité d’Utrecht. C’est aussi dans ce contexte et au cours de cette période que la ferme du Témiscamingue est établie et que les postes du Domaine du Roi reprennent du service.

Au lendemain de la Conquête, les baux à ferme octroyés par les autorités françaises depuis les années 1720 n’ont plus cours et tous ceux qui le désirent peuvent désormais aller en traite. Ainsi commence la période des « marchands indépendants » qui, à partir de 1761, marque le commerce des fourrures jusqu’à la fondation de la Compagnie du Nord-Ouest (CNO) en 1779. À l’est, les postes du Domaine du Roi passent entre les mains des autorités britanniques. La présence grandissante de la CNO force bientôt la CBH à revoir ses pratiques commerciales. Après plus d’un siècle à attendre que les fourrures parviennent sur les côtes de la baie James et de la baie d’Hudson, la CBH n’a d’autres choix que d’ériger des comptoirs dans l’hinterland pour faire face à la concurrence.

Au Québec, la CNO concentrait une bonne part de ses activités autour de la ligne de partage des eaux du côté des lacs Mistassini, Waswanipi et Abitibi. Puis, en 1802, elle devient locataire des postes du Domaine du Roi pour une période de 20 ans. L’intense compétition entre les deux compagnies se poursuit et n’aura de cesse qu’avec la fusion de 1821. L’union des deux compagnies a comme conséquence immédiate la fermeture de plusieurs postes de traite, parfois érigés l’un près de l’autre. Toutefois, la trêve sera de courte durée, car la CBH ne parvient pas à succéder à la CNO en tant que locataire du Domaine du Roi. Une fois le bail accordé à des hommes d’affaires de Québec en 1822, les rivalités reprennent de plus belle le long de la ligne de partage des eaux et les Britanniques n’ont d’autre choix que d’y ériger de nouveaux établissements. La concurrence perdure jusqu’en 1831, alors que la CBH rachète le bail et occupe à son tour les postes du Domaine du Roi. Dès lors, elle jouira d’un monopole incontesté sur l’ensemble du territoire, s’étendant du golfe du Saint-Laurent jusqu’aux rives du Pacifique.

Les décennies suivantes voient finalement apparaitre d’importants changements dans l’occupation du territoire, avec l’exploitation forestière qui prend de l’ampleur et le début de la colonisation du Saguenay, de la Mauricie et de la vallée de l’Outaouais. L’ouverture de ces terres change la donne et affecte particulièrement le commerce des fourrures. Face à un déclin désormais inévitable, la CBH poursuit néanmoins ses activités, après avoir perdu l’administration de la Terre de Rupert en 1867 lors de la Confédération. De toute évidence, le commerce des fourrures en était à ses dernières heures de gloire et les postes de traite allaient bientôt devenir de simples magasins généraux.

Les sites archéologiques d’où proviennent les objets présentés ici sont répartis sur l’ensemble du territoire québécois, et plus particulièrement dans les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de l’Abitibi-Témiscamingue et d’Eeyou Istchee Baie-James. Ces sites couvrent toute la période chronologique associée à la traite des fourrures, soit des années 1670 jusqu’au tournant du 20e siècle. Y sont représentés des établissements occupés dès le Régime français, notamment quelques postes de la CBH antérieurs à la Conquête ainsi que plusieurs comptoirs en activité pendant le 19e siècle et même après.

Ainsi, la Collection archéologique de référence du Québec vous propose une sélection d’objets représentatifs des nombreuses activités qui avaient cours dans les postes de traite. Du travail sur la matière à l’acquisition des ressources nécessaires à la survie dans ces milieux isolés, les objets retenus évoquent non seulement les activités commerciales et domestiques des traiteurs, mais aussi la présence occasionnelle des chasseurs autochtones. Outre quelques parures, des sceaux à ballot et des pièces d’armes à feu, s’y retrouvent également divers objets associés à la trappe, à la pêche et à l’horticulture, tout comme un bon nombre d’outils ayant servi aux artisans forgerons et menuisiers qui œuvraient dans ces établissements.

ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLE
Plan de Fort Richmond dressé en 1751
Plan de Fort Richmond dressé en 1751
(ACBH : G.1-104)
Plan de Fort-Témiscamingue
Plan de Fort-Témiscamingue dressé par Richard Hardisty en 1888. Le bâtiment portant le n° 7 correspond au dernier atelier de forge.
(Archives de la Compagnie de la Baie d'Hudson, Archives provinciales du Manitoba, B218/e/3,fo. 8)
Liste de fournitures et équivalences en quantité de peaux de castor
Liste de fournitures et équivalences en quantité de peaux de castor, extrait du livre de compte de la Hudson Bay Company pour Fort Richmond 1753-1754
(Archives de la Compagnie de la Baie d'Hudson, Archives provinciales du Manitoba, B182-D-4)